23 avril 2022 6 23 /04 /avril /2022 17:01

Ci-dessous le texte intégral (hors topos) de l'article paru dans le numéro 45 de Ski Rando Magazine : https://www.skirandomag.com/2021/07/05/queyras-des-alpages-aux-couloirs/

des alpages aux couloirs, randos en vrac autour de Ceillac
au fin fond de la Font Sancte

Dans l’imaginaire du montagnard, le Queyras est fait de sommets arrondis, dont les alpages accueillent vaches l’été et skieurs de randonnée l’hiver, les uns goûtant sa poudreuse, les autres broutant son herbe. Tout le Queyras ? Non ! Une vallée peuplée d’irréductibles aiguilles résiste aux prairies envahissantes, celle de Ceillac !
Son camouflage est parfait : même route d’accès vertigineuse par le verrou des gorges du Guil, même village pittoresque fait de maisons anciennes et d’églises classées, au-dessus mélézin et alpages façon carte postale, le tout sous un ciel bleu 400 jours par an comme le clament les brochures de l’office du tourisme. Même la toponymie locale semble avoir été choisie par ce dernier : les principaux torrents portent les doux noms de Cristillan et de Mélezet, laissant imaginer des eaux cristallines sous un couvert de mélèzes.

Et pourtant, à l’ouest du Mélezet justement, les pics de la Font Sancte opposent aux alpages certifiés queyrassins de l’est leurs grandes murailles de calcaire et leurs aiguilles dentelées ; on passe ici du domaine du pastoralisme à celui de l’alpinisme ! La FFME (Fédération française des Marmottes Emancipées) a d’ailleurs voulu siffler la fin de partie, s’élevant contre une discrimination à la couleur des dents et la mise en danger de la sécurité alimentaire des rongeurs d’alpages, exigeant donc la démolition de ces rochers stériles, mais le CAF (Chamois des Alpes Françaises) s’est insurgé contre cette remise en cause de ces reliefs d’intérêt patrimonial pour tous les capridés, que leurs dents soient blanches ou jaunes.
    
Sus au communautarisme et aux digressions oiseuses, cette vallée de Ceillac conjugue donc montagnes aux formes douces et sommets rocheux altiers, si bien que marmottes ou capridés, skieurs de grandes courbes sur les pâturages ou skieurs de petites courbes dans les couloirs, y trouveront leur bonheur. La vallée offre un terrain de jeu hivernal éclectique : un grand domaine de ski nordique qui couvre les deux vallées du Cristillan et du Mélezet, et au Mélezet justement, un domaine de ski alpin, petit mais de qualité avec une dénivelée de 800 mètres sur des pentes nord gages de neige froide et abondante, et des cascades de glace parmi les plus belles de France. Y’a pas de loup (enfin si, mais pas dans le texte), c’est ici de la peau de phoque pour tous les goûts et les niveaux, skieurs de randonnée ou skieurs-alpinistes, skieurs de 5.x et skieurs de 2.y, pour des dénivelées de 1200 à 2400 m.

Cet article va donc décrire une petite sélection de courses autour de Ceillac, classées par difficulté croissante. On peut faire ses débuts de skieur de randonnée sur les prairies des Marcelettes et bien-nommé col Fromage (!), répéter pour gagner en physique et en technique, avant de viser en guise de Graal du skieur queyrassin la traversée des Veyres. C’est une course exceptionnelle par la beauté de sa ligne - à cheval entre les crêtes ouest des Veyres et des Heuvières - et de son cadre géologique, un itinéraire à mon sens parmi les plus beaux des Alpes Françaises, au même titre que les chourums du Grand Ferrand, la brèche Portetta, le tour des Agards, le col Claire... Mais loin du caractère classique de celles-ci, ce tour au fin fond de la Font Sancte a su rester confidentiel, et on est à peu près aussi sûr d’y croiser d’autres randonneurs qu’un homme politique au restaurant en temps de confinement !


Itinéraires

Vallée du Cristillan

La vallée du Cristillan est longue d’une dizaine de kilomètres, du village de Ceillac à la crête-frontière avec l’Ubaye ; une piste de ski nordique est tracée sur la route qui la remonte sur environ 6 km, ce qui facilite aux skieurs de randonnée l’approche des nombreuses courses de la vallée. Nombreuses car la rive droite est bordée d’un immense versant ouest à sud-ouest peu raide, comme le Queyras sait en fabriquer. L’approche peut sembler longue sur ce fond de vallée, mais celle-ci a le bon goût d’offrir une inclinaison juste suffisante pour descendre sans trop pousser sur les bâtons ! On y trouve mélézins, alpages, chalets épars ou en hameaux : là encore, comme souvent dans le Queyras, le chef décorateur a bien travaillé. C’est encore plus beau quand le ciel y a mis du sien et couvert tout cela d’une nappe immaculée de blanc scintillant de part et d’autre du Cristillan, donnant un paysage un air virginal qui ramène en enfance mieux qu’une madeleine de Proust, gluten en moins ([sic]). Les skieurs nordiques, raquetteurs et skieurs de randonnée sont les plus à même de bénéficier de cette fontaine de jouvence solide, mes derniers ayant en plus la chance de pouvoir à la descente y calligraphier de délicates courbes en guise de land art éphémère.

Je me limiterai ici à décrire les parcours situés dans la partie aval de la vallée, limitant donc la remontée de la route à une petite heure tout au plus. 

La pointe des Marcelettes, classique de l’autre côté par son versant nord-est, peut aussi s’atteindre depuis Ceillac, par une course facile et pas trop longue, relativement sûre sur des pentes jamais raides. C’est un parcours qui se prête à l’initiation et peut se pratiquer des premières chutes jusqu’à la fin de l‘hiver, l’adret de l’itinéraire déneigeant vite sur le bas.
Juste en aval de la vallée, après une approche donc encore plus courte, la pointe de Rasis se prête à une course en boucle plus alpine. On en a pour sa sueur alors que défilé englacé, chalets d’alpages, mélézin, ravin, combe suspendue puis arêtes panoramiques défilent devant les lunettes à la montée ! Mention spéciale pour la dernière partie de la montée atypique avec cette doline suspendue presqu’incongrue dans ce raide versant ouest, puis l’arête panoramique et esthétique qui amène au sommet, pupilles dilatées et endorphine libérée. La descente reste variée et particulièrement belle dans les grandes pentes sommitales, après les lignes brisées de la montée sinusoïdes de rigueur pour faire fumer les spatules !

En guise de transition vers les courses côté Mélezet, la tête de Rissace peut se parcourir en boucle, ce qui permet de découvrir deux grands vallons au-dessus de Ceillac. Attention, elle doit être faite dans le sens de montée par le vallon d’Albert et de descente par la vallée du Cristillan, ceci afin de transformer 2 à 3 heures de ski de fond à la montée en une piste verte panoramique à la descente ! C’est encore une course panoramique et accessible à beaucoup de skieurs, dénivelée et inclinaison des pentes modérées, se méfier par contre des risques de plaques dans la face sommitale nord-est, soutenue dans le 30° et dans la zone d’accumulation par vent d’ouest.


Vallée du Mélezet

De l’autre côté du torrent du Mélezet, pas de mélézin, mais les pics de la Font Sancte et leurs aiguilles de calcaire qui veillent sur un grand cirque glaciaire autour du lac Sainte-Anne. Même si le Mélezet n’est pas le Styx et les bouquetins de la Font Sancte des cerbères cornus, sitôt le Mélezet traversé, on passe des alpages aux grandes falaises serties de couloirs, pour lesquels il faudra s’armer de l’attirail contondant du skieur de pentes raides – crampons et piolet. 
C’est donc ici le royaume du ski de couloir, place aux virages sautés en essuie-glace, façon kangourou sur-caféiné. Drôles d’animaux skieurs que ces curieux bipèdes sauteurs à longs pieds plats, qui s’expriment par interjections cabalistiques à base de chiffres séparés par des points, et passent plus de temps à afficher leurs exploits sur instagram, face de bouc et autres réseaux sociaux qu’à skier ! 
Trêve de moqueries, ce cirque nord-est blotti à l’ombre des pics de la Font Sancte constitue tout simplement l’un des plus beaux réservoirs de couloirs des Alpes du Sud, une dizaine de lignes d’ampleur et de difficulté variée, du 4.2 au 5.3 et de 100 à 400 mètres. Qui plus est, ces couloirs sont tous d’approche rapide lorsque les remontées sont ouvertes, orientés au nord et situés autour des 3000 mètres sur un terrain non glaciaire, donc praticables dès la constitution d’une sous-couche en novembre/décembre, et ce jusqu’au mois de mai voire plus tard. On comprend leur fréquentation régulière par les skieurs du Queyras et d’ailleurs ; vous pourrez d’ailleurs échapper à la corvée de traçage en simulant une fringale, pour laisser le copaing ou le groupe de derrière passer devant au moment de mettre les skis sur le sac !
J’ai sélectionné 2 couloirs parmi la ribambelle du cirque nord, cet article ne visant pas à l’exhaustivité.

Mon premier, le couloir nord de la brèche supérieure nord des Heuvières, n’est pas le plus classique. De ceux que j’ai parcourus, c’est pourtant mon préféré par son encaissement tortueux et donc très esthétique … et son approche rapide (bouh j’ai honte!).

Mon second, le couloir nord central de l’épaule est de la Font Sancte, raide mais rectiligne et peu exposé, figure par contre parmi les classiques du cirque. C’est une valeur sûre du ski de pente raide, d’approche rapide (en temps d’ouverture des remontées mécaniques), et souvent en bonnes conditions poudreuses de par son exposition nord et son altitude élevée. J’en garde un souvenir particulier puisque c’est le premier du cirque que j’aie descendu, au printemps 2010 après la fermeture de la station, et avec un ami victime depuis d’une avalanche - pensée à François-Xavier. Le bivouac sur le parking sous les étoiles avait été illuminé par les grands yeux jaunes d’un renard qui m’avait réveillé et fixé immobile pendant une minute, le museau au-dessus du mien, avant de filer tranquillement vers la forêt.

La course la plus belle du secteur, et à mon sens du Queyras, commence dans ce cirque, mais ne s’y arrête pas. C’est la traversée - souvent dite « des Veyres » - qui louvoie au sud des crêtes de la Font Sancte et du Pic des Veyres, et suit un cheminement particulièrement tortueux et esthétique dans des pentes suspendues. C’est un voyage à skis au long cours, dans une géojolie atypique et magnifique – de grands murs lisses de calcaire multicolore hérissés de gendarmes et d’aiguilles, un voyage à skis engagé et parfois exposé qui demande de très bonnes conditions nivo-météorologiques et un bon niveau physique et technique. Entre happy few qui connaissent la vraie valeur des choses et pas celle fabriquée par le consumérisme et la publicité, faute de Rolex au poignet à 50 ans ou moins, on peut toujours y profiter du luxe gratuit d’admirer la nature dans ce qu’elle a de plus beau et grandiose. Les musées « de ville » sont fermés ? Qu’à cela ne tienne, prenez vos skis et allez visiter le musée à ciel ouvert d’architecture et de sculpture des Veyres ; vous aurez le souffle coupé par les œuvres de Pachamama (… et les montées raides à plus de 3000 m) !

EN PRATIQUE

Période
Le ski autour de Ceillac peut s’envisager des premières chutes de neige de novembre/décembre, jusqu’à courant mai pour les itinéraires du cirque nord-est de la Font Sancte. Les alpages de la rive droite du Cristillan sont vite skiables, même sans sous-couche dure et/ou épaisse, alors qu’inversement le terrain rocheux mais de haute altitude de l’ubac de la Font Sancte reste blanc jusqu’au courant du mois de mai. Le parking d’été au fond de la vallée du Mélezet permet un départ élevé à près de 2000 mètres sous des pentes nord et des pistes de ski alpin qui gardent bien la neige, un bon plan de fin de saison pour les aficionados du chaussage à la voiture.
Ces indications restent bien sûr à apprécier en regard des conditions du moment : ce secteur de l’ouest-Queyras s’enneige un peu par tous les flux, plus par ceux de ouest/sud-ouest, si bien que l’enneigement s’y montre beaucoup moins capricieux que dans l’Est-Queyras, sec en l’absence de retour d’est.

Matériel
Le ski de randonnée vire ici au ski-alpinisme dans les courses de niveau dépassant le 4, donc il faudra veiller à prendre casque, crampons et piolet dans les courses décrites ci-dessous sous la Font Sancte.


Cartes
Les cartes IGN/Top 25 (3537ET a minima, en complément 3637OT pour la pointe des Marcelettes et la Tête du Rissace) des massifs concernés et/ou Iphigénie par exemple pour les geeks qui ne jurent que par le 0 papier. Votre ordiphone (smartphone au Québec rétif aux anglicismes !) vous permettra de vous situer et orienter même par mauvaise visibilité, ce qui n’est pas rien par exemple dans la traversée des Veyres, engagée et ponctuellement exposée.

Bibliographie, papier ou Internet
Ski Rando Magazine évidemment ! 
Sinon, sur Internet : www.skitour.fr, www.camptocamp.org ou https://sebdescimes.weebly.com/blog/la-plus-belle-course-de-ski-de-randonnee-du-queyras, le site de Sébastien Deyres, guide de haute montagne basé à Ceillac, qui donne un topo précis et bien illustré de la traversée des Veyres
En format papier le Toponeige Queyras

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