Ci-dessous le texte - sans les topos - de l'article paru en septembre 2023 sur le ski de rando autour du Cintu :
https://www.skirandomag.com/numero53
Il est un paradis pour les cochons, une terre de liberté sans cages ou barrières dont le nom est chuchoté dans les soues et crié dans les batteries, un pays où les glands se multiplient à portée de groin, où les arbouses tendres et sucrées tombent des branches pour Noël, et où les truies se laissent facilement conter fleurette au bord des départementales. Il est un pays de cocagne pour les skieurs de randonnée, un mirage qui miroite au-delà de la mer depuis les sommets continentaux, une île de granite fauve coiffé de blanc fichée dans la Méditerranée et appelée « Corse ». C’est là que vos yeux cochons pourront reluquer des strings de neige tendus entre les parois de taffoni, là où vous pourrez vous dorer la couenne sur la plage après avoir fait le sanglier dans le maquis et couiné dans la poudreuse ou sur la moquette, là dont vous reviendrez plein les pattes rôtis par le soleil (mais pas transformé.e.s en figatelli ou lonzu).
Et oui, la Corse n’est pas qu’un entrelac de plages où viennent bronzer les bipèdes et de routes où viennent poser les quadrupèdes (vaches, veaux, cochons…) devant les objectifs des pinzuti (touristes continentaux pour les insulaires), mais aussi une île plus riche en montagnes qu’en plaines. C’est une montagne dans la mer rarement esthétique pour les skieurs de randonnée, chaque étage disposant de son petit trésor : la forêt avec ses pins noirs laricios endémiques aux formes torturées, la zone alpine avec ses rocher au granite sculpté en taffoni, et les sommets avec leurs vues panoramiques où l’île d’Elbe, la Sardaigne et/ou le Mercantour peuvent se distinguer derrière la Méditerranée omniprésente. Dans ces contrées insulaires aux toponymes Bocca et Capu chantants, avec des bêtes (semi)sauvages en liberté qui divaguent le long des routes, on profite d’exotisme à moindre bilan carbone, l’occasion de skier vue mer (… et ce parfois de tous les côtés) sous le soleil méditerranéen et non la pluie norvégienne, en dégustant des figatelli plutôt que des cubes de fromage sucré marron et des tubes d’œufs de poissons !
Les montagnes corses profitent d’un enneigement régulièrement satisfaisant à excellent, parfois même supérieur à celui des Alpes ou des Pyrénées - comme notamment durant l’hiver 2023. Les situations météorologiques dites de retour d’est peuvent y déposer des mètres de neige, au point que la seconde avalanche la plus meurtrière recensée en France durant les 200 dernières années a touché le village d’Ortiporio en Castagniccia en 1934 (37 victimes décédées dans un hameau situé à moins de 700 mètres d’altitude - contre 39 morts pour l’avalanche de l’UCPA à Val d’Isère en 1970), ou qu’un derby de ski (sur neige et pas nautique !) est parfois organisé versant nord du Cintu en… juin ou juillet.
Si vous êtes prêt à « prendre le maquis » (ou de préférence la pinède de laricios, qui offre une skiabilité autrement meilleure que les murs impénétrables d’épineux du maquis…), à vous le « hold up » à la Corse ! Inutile d’enfiler votre cagoule et de prendre la pose en brandissant un piolet l’air méchant devant le miroir de la salle de bains, votre rictus effrayant ne sera pas visible sous votre torchon noir mal percé au niveau des yeux, et la lame de votre piolet est moins affûtée que l’épée en plastique de votre fils. Il est plus sage pour votre braquage de simplement prévoir une virée à skis dans la poudreuse des montagnes corses, ce qui pourrait tout de même vous valoir des millions de like enamourés de vos milliers de followers !
Trêve de poncifs à réseaux sociaux, cet article vous présente donc des courses réalisables à la journée au départ des routes dégagées en hiver, excluant de fait les parcours au départ de la vallée de la Restonica, dont la route reste officiellement fermée jusqu’à mai. C’est une sélection toute personnelle d’itinéraires choisis pour leur esthétisme mais aussi variété, du maquis de basse altitude aux taffoni des couloirs dans le granite en passant par les forêts de pins laricios, des itinéraires envisageables pour certains dès les premières neiges de la fin de l’automne et pour d’autres jusqu’aux derniers névés des premiers jours de l’été.
Si les caractéristiques de ces courses peuvent diverger suivant les sources, tant pour les pentes (40° d’après IGN, 50° d’après facebook), difficultés (4.2 selon les topos, 4.9.3 selon Emmanuel Macron, 95D selon Dominique Strauss-Kahn, 5.2 à Marseille, 4.256 à Strasbourg, entre le 3.1 et le 5.2 en Normandie), dénivelées (1200 d’après les syndicats, 120 d’après la police) que conditions (5 cm de poudreuse d’après le bulletin d’estimation du risque d’avalanches, 50 cm d’après les réseaux sociaux), vous y trouverez toujours le bonheur évanescent et irréductible aux chiffres d’un claquage de conversion ou d’un rebond dans la poudreuse qui vole autour des skis.
Cima a i Mori
Un itinéraire déjà peu classique en randonnée pédestre mais sans doute rarement skié vu l'altitude basse du départ (700 mètres !) et le caractère peu skiant des 600 premiers mètres de dénivelée, à réserver donc pour le plein hiver avec un enneigement débutant à (très) basse altitude.
On peut y goûter à skis la substantifique moelle de la montagne Corse : départ littéralement à travers un beau village Corse perché autour de son église, remontée d’un sentier muletier dans le maquis sous la forêt d’aiguilles de granite de Popolasca et Rundinaia, avant un vallon glaciaire enserré entre les aiguilles creusées de taffoni et d'arches (un petit air de Bavella en Haute-Corse), puis une large combe est plus ouverte et panoramique sur la mer et l’île d’Elbe loin à l’est. De la longueur en montée, descente ou traversée, du dénivelée, du bartassage sur du sentier qui se perd vite dans le maquis, une combe suspendue cachée des regards des « pinzuti », voilà de quoi décrocher votre brevet de randonneur Corse !
Forêt de Carrozica
Encore un itinéraire de cœur d’hiver (la partie basse de la montée au Cintu par Bocca Borba) adapté aux situations nivo-météorologiques difficiles, sur des pentes modérées en forêt permettant de progresser sans trop pâtir des visibilités réduites et/ou des risques d’avalanches.
Bien abrité.e.s dans la forêt de bouleaux et de pins noirs, vous profiterez malgré tout d’une superbe ambiance entre laricios enfouis sous la neige et canyons dominés de cascades de glace… et d’une belle descente directe sur la route d’Asco, skiante si tant est que vos traces passent par les clairières, car c’est un boulot délicat que de se frayer un passage à travers les bouleaux !
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Pointe de Cricche, antécime sud-est
C’est une course classique au départ du col de Vergio, où vous croiserez probablement plus de bipèdes en une journée que durant toute une saison sur les deux autres itinéraires évoqués ci-dessus ! Un itinéraire court par ailleurs, et donc adapté aux créneaux d’une demi-journée par exemple. La pointe de Cricche – ou plutôt son antécime sud-est, le sommet principal étant rocheux - s’atteint par un itinéraire court et direct depuis le col de Vergio, seulement 500 mètres de dénivelée, mais on peut rallonger la balade par une descente versant sud-ouest vers les bergeries de Casterica. On trouvera de très beaux taffoni sur la croupe est dominant le col de Vergio vers la cote 1650, une géojolie qu’il conviendra de décorer à la descente de vos plus belles traces de calligraskie !
Punta Minuta
Place maintenant aux grands sommets corses, avec la Punta Minuta pour commencer, dont la voie normale à skis se déroule sur son versant sud, au départ de Calasima. C’est un beau et long vallon que celui des bergeries de Ballone, sous le versant est de la bien-nommée Grande Barrière, avec comme souvent en Corse de magnifiques exemplaires de pins laricio en haut de la forêt. La montée se fait ensuite plus directe sur une écharpe sud à la pente soutenue, un peu exposée sur le haut sur des pentes convexes au-dessus de barres rocheuses. Une fois parvenus à Bocca Rossa, la course… se corse encore, et on finit en crampons jusqu’au sommet de la Punta Minuta sur des pentes suspendues. De la croix sommitale on peut distinguer à la fois les sommets sardes au sud… et alpins au nord, la citadelle de Calvi étant quant à elle bien visible au nord-ouest sous les spatules, de quoi donner tout son sens au mot panorama !
Paglia Orba
Un autre grand sommet que la Paglia Orba, montagne emblématique pour sa position – le sommet Corse de plus de 2500 mètres le plus proche de la mer, et sa géologie insolite - un plateau suspendu entouré de falaises de conglomérat sur toutes ses faces, devant le grand rocher de granite troué du Capu Tafunatu.
La cheminée d’hiver qui mène à ce plateau suspendu s’atteint au départ du col de Vergio par le long vallon du Golo, et passe en crampons par enneigement suffisant, moins couramment à skis à cause de l’étroitesse de ladite cheminée. Plus haut c’est l’enchantement du plateau suspendu avec ses vues plongeantes sur la Méditerranée dorée au sud-ouest, plus sombre à l’ouest vers le Capu Rossu, et la frange blanche des sommets du Mercantour au nord-est. Mais lâchez vos appareils photos, la cheminée d’hiver exposée plein sud n’attendra pas la fin de vos mitraillages pour (mal) tourner en neige trop réchauffée !
Couloir ouest de l’antécime nord de la Punta Minuta
Une course magnifique au départ de la station de ski d’Asco, mais qui ne débouche sur aucun sommet majeur, individualisé ou même nommé sur IGN. A quoi bon alors perdre des tonnes de sueur et des hectares de peau des pieds, pour ne même pas pouvoir ajouter une croix significative dans votre carnet de courses ? C’est que ces couloirs offrent aux skieurs une ambiance exceptionnelle, dans leurs lignes encaissées et tournantes, face à la mer et au Mercantour, au-dessus des abîmes du Cirque de la Solitude (désormais évité par le GR20). Comme souvent en Corse, au-delà de leur cargaison de poudreuse, les tempêtes hivernales plâtrent de neige et glace les parois sommitales, de quoi transformer cette montagne en un petit Cerro Minuta aux allures patagoniennes, avec vue panoramique sur les mers australes euh… la mer Méditerranée !
Les sorties post méridiennes dans ce couloir exposé à l’ouest se verront agrémentées de nombreuses chutes de glace accrétée détachée par le soleil, casque (encore plus) de rigueur pour les intrépides skieurs. Avec les parois au-dessus qui tiendront donc lieu de machine à glaçons, il suffira d’emmener une bouteille de grappa pour célébrer dignement la beauté du ski corse, la mer sous les spatules assurant l’ambiance d’un bar de plage ! Le trait de côte s’avère heureusement ici assez lointain pour que les bulldozers préfectoraux ne viennent pas détruire votre paillote de plage installée sur un domaine public maritime…
Bocca Pampanosa
Depuis la station de ski d’Asco le cirque nord de Trimbolacciu attire le regard des skieurs et alpinistes avec ses grands couloirs nord enserrés entre les tours rocheuses, celui de Bocca Pampanosa étant le plus évident entre les Capu Larghia et Rossu. Au-delà d’une grande ambiance alpine sur ses 600 mètres de dénivelée, il offre un enneigement exceptionnellement abondant et tardif de par son altitude et encaissement au nord sous d’immenses parois de granite, et conserve souvent de grands névés jusqu’au cœur de l’été, de quoi être en mesure d’enchaîner virages à skis le matin et ploufs dans une mer à la température estivale l’après-midi !
EN PRATIQUE
Période
La meilleure période du ski corse ne diffère pas beaucoup de celle des Alpes du Sud ou des Pyrénées, et s’étend généralement de décembre à avril, à mon sens pas plus tard que la mi-avril pour garantir un ratio ski/portage raisonnable sur ces montagnes d’altitude moyenne (pas plus de 2700 mètres), méridionales et aux départs jamais très hauts (pas plus de 1400 m).
A savoir tout de même que des courses telles que la Bocca Pampanosa par son couloir nord peuvent généralement se pratiquer au début de l’été avec seulement une petite heure de portage !
Estimation et prévision des conditions nivo-météorologiques
Comme expliqué en introduction, l’enneigement des montagnes corses est souvent généreux, mais il présente une grande variabilité temporelle et spatiale. Il importe donc de vérifier si la neige est assez présente avant de traverser la Méditerranée : on peut s’assurer de l’enneigement sur la page ad hoc de Meteo France https://meteofrance.com/meteo-montagne/corse/enneigement
On peut également appuyer son analyse sur des vues satellite récentes. Le site https://apps.sentinel-hub.com/sentinel-playground permet justement d’estimer la limite d’enneigement grâce aux vues satellites prises périodiquement (généralement tous les 2 ou 3 jours) de l’ensemble de la surface terrestre, en comparant une vue satellite récente (par ciel dégagé) de la montagne visée avec les courbes de niveau d’une carte (par exemple Open TopoMap qui couvre le monde entier, ou plus simplement et précisément IGN pour la Corse). Un moyen universel (affranchi de l’existence de stations de ski et/ou bulletins nivologiques) et permanent pour déterminer en temps réel ou presque la présence de neige ou non sur toutes les montagnes du globe !
Sinon les webcams disposées dans les stations de ski (par exemple celles d’Asco, Ghisoni ou Val d’Ese) ou les cols de montagne (Vizzavona) permettent de se faire une idée… ou plutôt une vue de l’enneigement du moment : http://actu-meteo-corse.fr/webcams-de-corse
Les bulletins d’estimation du risque d’avalanches sont ceux publiés par Meteo France tous les jours en saison https://meteofrance.com/meteo-montagne/corse/risques-avalanche
Concernant les prévisions météorologiques, on peut comme partout surfer sur www.meteoblue.com, qui compare les sorties de nombreux modèles différents et permet d’évaluer la fiabilité des prévisions au travers de leur dispersion.
Comment y aller
L’insularité impose soit l’avion - Ajaccio, Calvi ou Bastia sont les aéroports Corses les plus commodes vis-à-vis des courses présentées dans cet article, soit le ferry – sur le continent au départ de Marseille, Toulon ou Nice et à destination d’Ajaccio, l’Ile-Rousse ou Bastia. La comparaison des tarifs attachés à ces moyens de transport doit évidemment prendre en compte la location de voiture si l’on choisit l’avion.
Se déplacer
Il semble difficile de se passer de (location de) voiture, les points de départ des randonnées présentées dans cet article n’étant en général pas ou mal desservis par les transports en commun.
Budget/hébergement
La Corse est une destination peu courue et plutôt bon marché entre décembre et avril en saison de ski, qui a le bon goût de ne pas recouper la haute saison balnéaire de mai à septembre, en hiver heureusement moins de Celsius et de gus !