15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 22:03

Expédition dotée d'une bourse Expe de 3 semaines en Turquie Orientale entre le 25 juillet et le 13 août 2011 :

http://bourses-expe.com/bourses2011/BE2011-Turquie_Cilo_Sat_les_montagnes_oubliees.html

à la découverte des montagnes Cilo du Kurdistan, vierges depuis l'interdiction d'accès promulguée par l'armée Turque en 1985 et l'aggravation du conflit avec le PKK dont les bases arrières se trouvent maintenant au nord de l'Irak. L'impossibilité de gagner le massif du Sat, à l'accès barré par l'armée, nous a amenés ensuite à nous rabattre sur la chaîne Pontique ou massif du Kackar au bord de la Mer Noire.

 

Ci-dessous la présentation du projet :

 

Des parois rocheuses de près de mille mètres de haut, ceinturées de glaciers, un no man’s land de l’alpinisme depuis la dernière expédition il y a 40 ans, pas de cartes ni de topos… Non, ce n’est pas la dernière Cordillère Cachée de Chilivie ou le sommet de l’Annapurjus, mais le massif du Cilo Sat dans le Sud-Est turc, à seulement 4100 m d'altitude et quelques heures d’avion des métropoles européennes…
Le conflit larvé entre l’armée turque et la rébellion kurde a longtemps préservé le mystère de ces montagnes en terre d’Islam, mais une équipe de globe-trotters en crampons s’apprête à soulever le voile pour une expédition visant à explorer et si possible défricher ces terra incognita de l’alpinisme contemporain. Nous projetons de traverser ce massif du Nord au Sud, à la rencontre des bergers kurdes et des prairies d’altitude, et à tenter l’ascension de ses plus hauts sommets, dont les photos terrestres ou satellites sur lesquelles nous nous appuyons laissent entrevoir de belles parois rocheuses ceinturées de glaciers.

 

Ci-dessous le récit illustré de cette expédition dans le massif du Cilo :

 

Des parois rocheuses de près de mille mètres de haut, ceinturées de glaciers, un no man’s land de l’alpinisme depuis la dernière expédition il y a 40 ans, pas de cartes ni de topos… Non, ce n’est pas la dernière Cordillère Cachée de Chilivie ou le sommet de l’Annapurjus, mais le massif du Cilo Sat dans le Sud-Est turc, à seulement 4100 m d'altitude et quelques heures d’avion des métropoles européennes… Les rares photos entrevues dans de vieilles brochures de l’office du tourisme Turc ou sur Internet laissent deviner un splendide terrain d’aventures pour le trekkeur, grimpeur ou alpiniste.

Le conflit entre l’armée turque et la rébellion kurde du PKK a préservé le mystère de ces montagnes en terre d’Islam, mais une équipe de globe-trotters en crampons a décidé de soulever le voile pour une expédition visant à explorer et si possible défricher ces terra incognita de l’alpinisme contemporain.

 

Une fois l’équipe rassemblée et les dates fixées, préparer l’expédition a consisté non pas à recevoir et payer un permis de sommet pour un sommet bien défini comme c’est souvent le cas en Himalaya mais plutôt à tenter d’obtenir un permis d’accès pour ces montagnes où les guérilleros du PKK et l’armée Turque s’observent et parfois se confrontent. Les démarches entreprises auprès des consulats et ambassades Turcs en France ne donneront rien sinon des avertissements alarmistes, alors que les contacts noués par téléphone avec les autorités locales de Hakkari buteront sur des questions bien évidentes de compréhension dans cette région où le conflit s’est même déplacé sur le terrain linguistique … Tant pis, notre expédition ne dépendra pas du bon vouloir d’un bureaucrate d’Ankara et décision est prise de résister aux diktats Ottomans et de réserver les billets, même si nous préférerions dormir sous la toile de tente plutôt que sur le bitume des prisons Turques pour avoir enfreint la réglementation d’accès aux montagnes Kurdes.

 

 

L’expédition de Bernard Amy en 1969, décrite et illustrée dans le beau récit « la montagne des autres », nous donnera l’eau à la bouche et des fourmis dans les mollets. Les montagnes du Cilo Sat vues de Google Earth s’avéreront en tout cas moins opaques que l’administration turque le voudrait, et joints aux photos satellite les photos et croquis permettront de dégager la structure générale du massif et de repérer des traversées et ascensions possibles.

 

 

Approche : 24 au 27 juillet 2011

 

 

Après ces mois de palabres et de rêves éveillés devant les photos satellite il nous tarde de fouler les pelouses et glaciers du Cilo Sat, et cette Terre Promise proche-orientale de l’alpinisme commence enfin à se rapprocher lorsque nous entrons le 25 juillet dans le fuselage de l’avion qui nous mène d’ Istanbul à Van. Vue du ciel, la Turquie se résume à l'interminable haut-plateau Anatolien, de plus en plus aride et dépeuplé à mesure que l'on s'éloigne de la métropole d'Istanbul et se rapproche des confins orientaux du pays. Les steppes jaunes laissent parfois place au lointain cône enneigé du volcan Ercyies Dagi qui domine les églises troglodytes de Cappadoce et à quelques montagnes parfois vertes sur leurs versants nord. Le lac de Van, véritable mer intérieure du sud-est Turc, flanqué de ses 2 volcans tutélaires Suphan et Nemrut (ce dernier doté d'un Crater Lake made in Turkey rappelant son homologue de l'Oregon) apparaît comme un mirage après ces centaines de kilomètres desséchées.

 

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L'avion commence à piquer du nez au-dessus du lac comme pour se rafraîchir après ses 2 heures de traversée anatolienne, sans que les brumes de chaleur et de poussière de l'est Turc ne laissent distinguer le massif du Cilo Sat au sud-est ou l'Ararat au nord.

 

Van, ville moderne et sans âme poussée au bord du lac mais curieusement beaucoup plus tournée vers les steppes à moutons de l'intérieur que vers la Grande Bleue du lac, fait penser aux villes de pionniers de l'Ouest Américain. Dans cette Turquie Orientale qui relève plus du Far East que du Far West, les troupeaux de moutons remplacent les buffalos et les Kurdes les peaux rouges, alors que les véhicules blindés de l'armée Turque dégagent autant de poussière qu'un régiment de cavalerie yankee pendant la charge... Dans cette ville perdue au cœur des steppes de l'est Turc (ne pas dire Kurdistan sous peine de subir les foudres de votre interlocuteur non Kurde) l'influence Ottomane ne se limite heureusement pas aux soldats en treillis paradant sous le drapeau de croissant et d'étoile mais se ressent également dans les portraits d'Atatürk (littéralement le père de tous les Turcs) qui jalonnent toute la ville, comme si seul son regard sévère pouvait calmer les ardeurs séparatistes de ces Kurdes dont l'Israël reste à bâtir entre Turquie, Iran, Irak et Syrie... Presque aussi présents qu’Atatürk les cuistots des Döner Kebab Salon exposent derrière leurs vitrines leurs bras luisants et leurs sabres.

 

Par contre et à l'inverse de ce qu'un visage pâle juste débarqué de sa lointaine Europe, où le Kurdistan fait figure de PKK-istan peuplé de rebelles moustachus et de djihadistes en entraînement, pourrait imaginer, la vie se révèle étonnamment douce et paisible malgré une présence militaire toujours palpable  ; les couples flirtent dans la rue main dans la main, les voiles se font bigarrés voire absents. Il faut tendre les tympans pour entendre le muezzin à la voix douce (qui doit craindre de réveiller Atatürk) et apercevoir les montagnes pelées et rocailleuses pour réaliser que nous n'avons pas atterri dans le quartier le plus occidentalisé d'Istanbul mais à la dernière frontière de l'Empire Ottoman, à quelques heures de Dolmus (le mini-bus local) de la frontière Perse et du pays des mollahs, déjà presque en Asie centrale...

 

 

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Barbara avec une jeune Kurde au Kebab Salonu

4 heures de bus nous emmènent à travers vallées fertiles et montagnes désertiques vers Hakkari, à l'extrémité sud-est de la Turquie, loin et même très loin du gouvernement d'Ankara. A l’approche de la frontière irakienne le kaki devient par endroits la couleur dominante, en accord avec le gris des casernements qui ceinturent et surveillent la capitale Kurde de l’extrême Sud-Est. Cette ambiance de ville de fond de vallée cernée de forts n’est pas sans rappeler Briançon, même si le Buzzati du « désert des tartares » est ici plus à invoquer que Vauban.

 
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la ville d'Hakkari dominée par la chaîne du Cilo
 
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le désert des Tartares ou la caserne des soldats Turcs

Malgré la police qui patrouille en véhicules blindés et la présence de bâtiments visiblement récemment détruits la vie Kurde suit son cours : les pâtisseries débordent toujours autant de pièges à montagnards crémeux et les salons de thé de joueurs de go à la moustache drue mais qui ne cache pas de beaux sourires d’accueil. Car les Kurdes de Hakkari rivalisent de gentillesse ; partout ce n’est que mains tendues et verres de thé offerts, au point que nous créons un attroupement en cherchant à trouver un moyen de transport pour le massif du Cilo. L’accent français semble aussi rédhibitoire en Kurde qu’en français puisque nos vocalises variées dans la prononciation des noms figurant sur notre carte resteront vaines face aux mines étonnées de nos interlocuteurs. A notre décharge toutes les cartes se voient affublées d’un étonnant mélange de Turc et de Kurde, l’affrontement s’étant propagé des casernes aux cartes, dont chaque partie, Turcophone ou Kurdophone, se dispute la paternité des toponymes. On se croit sur une route de Corse, à tenter de lire sur un panneau un Asco défiguré par les impacts de plombs sous lequel un Ascu a été gribouillé au marqueur. Difficile en tout cas de savoir si tel toponyme relève du Turc d’Ataturk ou du Kurde local, et on espère simplement ne froisser aucune sensibilité en répétant à l’infini le nom du hameau apparaissant sur la carte. Nous commençons à douter de pouvoir un jour accéder à notre Terre Promise de falaises et de glaciers, quand notre Messie apparaît enfin sous la forme d’un jeune étudiant Kurde parfaitement anglophone qui joue les traducteurs. Après des heures de vaines gesticulations tout s’éclaircit d’un coup, et en dépit des avertissements solennels proférés à propos de nos futures nuits sous tente à 2500 m (« vous allez mourir congelés ») nous trouvons enfin un valeureux chauffeur de taxi prêt à emmener ces touristes inconscients là où la température nocturne frise les 15°C ! On apprend par la même occasion que le trek d’accès de plusieurs jours que décrit Bernard Amy dans son récit a perdu sa raison d’être, puisque le camp de Mergan situé au pied des parois du Cilo peut maintenant s’accéder par une longue route (difficilement) carrossable. L’alpiniste paresseux qui sommeille en chacun de nous ne peut que regretter officiellement que l’accès soit désormais aussi facile, mais il se réjouit intérieurement de ne pas avoir à jouer le cheval de bât et de pouvoir emporter autant de provisions que son appétit et le coffre de la vénérable Peugeot 405 le permettront.

 

Mais rien n’effraie notre chauffeur et son antique Peugeot 405, et celle-ci se retrouve affublée d’un capharnaüm de sacs, piolets, touristes et cordes, donnant ainsi l’occasion de tester ses facultés avec chargement lourd en terrain varié (bitume, gravillons, galets secs ou humides)… Celle-ci, ses pneus lisses et notre chauffeur, feront aussi bien que le dernier 4x4 embouteillant la Canebière, et au bout de 3 heures de cahots et de bosses au crâne pour Alexandre, dont le 1m85 s’accommode mal des dimensions réduites de la voiture, nous arrivons au bout de la route, au camp de Mergan, face à la muraille du versant nord-ouest du Resko qui barre l’horizon, entourés des bergers Kurdes et de leurs centaines de chèvres et brebis. Nous voilà enfin au cœur vivant du massif du Cilo, près de ces bergers et de ces montagnes longtemps imaginées à travers le prisme des photos et des récits de Bernard Amy.

C’est avec un grand bonheur et un sourire jusqu’aux yeux que nous saluons nos voisins Kurdes et commençons à installer le camp de tentes au bord du torrent sur un tapis d’herbes odorantes, à environ 2400 m et sous les sommets du Cilo qui frisent ou dépassent les 4000 m. Ce camp qui nous servira de camp de base pour nos ascensions à la journée se trouve doté de tout le confort moderne : eau courante au niveau d'une source claire située à 200 mètres des tentes, douche et machine à laver dans le torrent glaciaire qui roule des eaux revigorantes, primeur dans les champs de menthe sauvage à 50 mètres et salon de thé dans le campement des Kurdes à l’hospitalité exceptionnelle... Rendez-vous est pris avec notre chauffeur pour la semaine suivante, même si son expression peinée en dit long sur sa croyance en notre capacité à survivre en environnement aussi polaire !
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portage des affaires devant les 800 m de la face ouest du Resko, sommet du massif à 4100 m
 
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le camp de Mergan : nos tentes à gauche, les tentes des bergers Kurdes à droite
 
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ici l'herbe est toujours plus verte
 
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idem
 

28 juillet

 

Notre semaine d’ascensions commence en fanfare à 4 h le 28 juillet, pas seulement avec le téléphone portable qui nous fait regretter la chaleur du duvet mais surtout avec notre première journée d’alpinisme dans le massif. L’objectif est de trouver un point de faiblesse sur la crête sommitale du massif et si possible d’explorer les deux principaux bassins glaciaires du massif autour de l’Elsan.

C’est encore ensommeillés, mais lestés comme une Peugeot Kurde de notre quincaillerie qui nous fait sonner comme une chèvre, que nous partons du camp de Mergan et remontons la vallée glaciaire du Resko sur un sentier marqué du passage des troupeaux, bercés par le murmure du torrent de fonte et veillés par les immenses parois rosissant aux premiers rayons. Le soleil qui nous atteint au lac glaciaire de achève de nous réveiller, de même que le magnifique paysage de ce lac de moraine né du recul du glacier du Duvar Tepe, et parsemé de blocs de glace vêlant du front de ce dernier. Les taches de couleurs des fleurs piquetant les rives du lac répondent aux stries blanches et grises des séracs qui s’effondrent dans le lac, sous les parois immuables du Resko et du Duvar Tepe. Les appareils photo crépitent devant ce paysage quasi-Patagonien presque incongru dans ces confins orientaux de la Turquie, à quelques centaines de kilomètres de la fournaise estivale du désert Irakien…

 
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devant les séracs du glacier de l'Esmer Tepe
 
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idem
 
La suite semble moins réjouissante, puisqu’il s’agit de remonter les contreforts est du Duvar Tepe au-dessus du glacier éponyme, dans un terrain ingrat fait de pelouses alpines raides coupées de barres rocheuses. Les touffes d’herbes et les massifs de fleurs s’avèrent aussi agréables pour les yeux qu’utiles pour les mains quand les pieds commencent à déraper sur les pentes de terre desséchée par des mois de soleil…
 
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vue de détail d'une fleur, photo prise à 3000 m
 
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idem
 
Aux environs de 3000 m les dernières fleurs laissent la place aux éboulis puis aux rochers polis abandonnés par les glacier,s désormais limités aux cirques sommitaux. A 3300 m, sur le bas des glaciers à vif, place aux crampons, ravis de sortir du sac après y avoir cuits sous les 35°C de Hakkari.
 
 
 
 
 
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chaussage des crampons à 3200 m face au Resko (Uludoruk en Turc)
 
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passage en glace vive
 
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un gypaète barbu
 
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à 3500 m
 
C’est également avec plaisir que nous découvrons une brèche dans la crête sommitale du massif à environ 3700 m, que nous atteignons après avoir contourné une rimaye dont l’appétit commence à s’ouvrir.
 
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devant la brèche
 
L’horizon s’ouvre alors sur les contreforts sud du massif et leurs larges sommets parsemés de névés. De la brèche la progression sur l’arête et ses ressaurs déversants semble difficile, et nous choisissons de tenter de traverser vers le glacier du Suppa Dürek situé derrière les falaises qui nous font face à l’ouest.
 
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descente de la brèche face à l'Elsan, gravi quelques jours plus tard
 
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vue de la face ouest du Resko
 
Après la redescente sur le glacier 3 longueurs d’escalade en 4 sup sur un rocher parfois traître nous emmènent à 3600 m sur la crête, de laquelle la descente vers le glacier du Süppa Durek nous semble possible en 2 ou 3 rappels.
 
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Barbara au relais sous le col de passage entre les cirques du Resko et du Suppa Durek
 
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Alex et Barbara dans la troisième longueur
 
Le panorama s’étend sur l’ensemble du massif du Cilo, et la plupart des sommets semblent protégés par de hautes (souvent plus de 800 m de hauteur) parois rébarbatives. Quelques itinéraires paraissent malgré tout envisageables en profitant des rares lignes de faiblesse que nous croyons discerner.
 
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au col, avant les rappels de descente vers le glacier nord du Suppa Durek
 
Du bas du premier rappel d’où nous surplombons le glacier du Süppa Durek, celui-ci nous semble étonnamment proche, et nous posons un second rappel, rassurés par la perspective de bientôt pouvoir remettre nos crampons sur le plancher des bouquetins. Malheureusement, les 50 m des cordes de rappel abandonnent Alexandre en plein vide, et à défaut d’un troisième rappel Alexandre improvise au bout du second rappel, en pleine paroi polie par le glacier, une désescalade exposée, 5 mètres au-dessus d’une rimaye béante affamée en cette fin d’après-midi.
 
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Alex dans le premier rappel
 
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Barbara au départ du premier rappel
 
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Barbara et Alex sur l'éperon avant le second rappel
 
 
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Barbara au départ du second rappel de 55 m, Alex en bas sur le glacier
NB : la corde fait 50m, les joies du terrain d'aventure...
 

Une fois en bas des rochers, reste à descendre ce beau glacier qui se découvre sous nos crampons, et bientôt sous nos frontales lorsque le soleil disparaît sous les collines pelées à l’ouest. Nous regrettons la glace et la neige dès que nous prenons pied sur les pierriers de moraine, qui heureusement cèdent la place après quelques centaines de mètres et presque autant de jurons aux pelouses alpines nous ramenant au camp. Il est 21 h, nous marchons depuis 16h, il fait nuit depuis 3 heures et faim depuis presque autant. Nous mangeons dans le silence, les montagnes oubliées du Cilo encore dans les mirettes malgré la nuit qui nous entoure. Une douce torpeur commence à nous envelopper avec la tension de cette longue journée qui s’éloigne, et il n’y a rien d’autre à faire que de céder à cette  petite mort du montagnard repu de parois et de sommets…

 

 

 

 

29 juillet

 

Le lendemain au réveil le soleil éclaire déjà le sommet du Resko, et de fait la tempête de ciel bleu perdurera durant toute la semaine passée sur le Cilo. Le ciel présente ici une constance inconnue des alpinistes français branchés sur les prévisions météo ; l’anticyclone vissé sur le sud-est Turc tout l'été garantit un ensoleillement à peine contrarié par quelques passages de nuages élevés. Pas le moindre nuage cumulus, congestus ou même innofensus, la disparition concomitante du risque d'évolutions orageuses nous donne la bénédiction pour des réveils pas trop matinaux (entre 4h et 5h malgré tout), loin de ces marches d'approche françaises faites à la frontale à des heures honnies des lève-tard, qui en viennent à regretter de ne pas rôtir sur les plages comme un rosbeef ou autre teuton... Les températures caniculaires en plaine, chaudes en montagne (entre 15 et 20 °C la nuit au camp à 2500 m, mêmes valeurs la journée à l’ombre à 3500 m, y compris sur les glaciers) font que les polaires et autres vestes n'auront eu comme seule fonction que celle d'encombrer nos sacs à dos...

Quoi qu’il en soit, en ce lendemain de bambée, les muscles sourient moins que le ciel et se vengent un peu des excès imposés la veille durant les 16 heures de traversée. Les beaux piliers situés rive droite du torrent du Mia Hvara, en face des tentes, semblent tout indiqués pour une journée de « repos » salvatrice pour les biceps et autres triceps. Ici pas d’approche glaciaire, mais les chardons qui seuls résistent aux assauts des troupeaux de moutons et de chèvres marqueront également nos mollets, certes plus superficiellement que la veille…

 

 

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durant l'approche de la voie

 

 

Après 2 heures de marche nous parvenons au col de Der-I-Cafer et y découvrons ce qui ressemble à des vestiges récents de combats. Après avoir mitraillé le panorama de photos, nous décidons de gravir un beau pilier s’élançant en face du col sur une hauteur d’environ 150 m. L’escalade y tient toutes ses promesses sur un beau rocher sculpté d’une adhérence exceptionnelle, avec des passages verticaux mais toujours prisus, le tout face aux sommets du Cilo et à leurs ombres qui grandissent peu à peu.

 

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au sommet de la voie devant les 4000 m du Suppa Durek

 

 

 

Le retour à pieds du sommet ne sera une formalité que pour Alexandre et Thomas, puisque Barbara se blesse au genou lors d’une mauvaise chute et finit en claudiquant.

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Barbara juste avant sa chute

 

30 juillet

 

Au réveil le genou de Barbara s’est coloré de bleu, en accord avec la teinte du ciel au-dessus de nous. Alexandre a également passé une mauvaise nuit ponctuée de douleurs au ventre, et nous décidons malgré tout de viser le sommet de l’Elsan, qui nous a semblé accessible par son arête sud lors de notre longue traversée glaciaire inaugurale. Nous reprenons donc le chemin du lac glaciaire du premier jour, mais les intestins d’Alexandre ne semblent aujourd’hui guère plus vigoureux que le genou de Barbara. Le solo ne semblant pas indiqué pour ce type de courses, nous décidons de rentrer au camp dans une longue descente souvent interrompue par Alexandre...

J'en profite pour aller reconnaître le beau front terminal du glacier de l'Esmer Tepe qui vêle dans le lac de moraine.

 

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Pour la plupart déclarés inaptes à l’alpinisme aujourd’hui, nous nous vengeons en envoyant les bergers Kurdes au travail sur un rocher que nous équipons en moulinette d’école d’escalade… Bien que débutants en matière de grimpe les genoux et intestins des Kurdes s’avèrent bien plus vaillants que les nôtres !

 

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31 juillet

Le lendemain nous touchons nos émoluments d’initiateurs escalade sous la forme de sandwiches au foie de mouton (!) ou de morceaux de chèvre, lors de la fête organisée par les bergers Kurdes à l’occasion de la tonte.

 

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le troupeau devant le Resko

 

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jeunes Kurdes avec leur animal de compagnie
 
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devant les photos de leur parents dans le livre de Bernard Amy, écrit suite à son expédition sur place en 1969
 
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passage obligé chez les trayeuses
 
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l'agent de la circulation et les trayeuses
 
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portrait de bergères Kurdes
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Une fois ces agapes terminées nous optons pour une promenade verticale digestive sous la forme d’un beau pilier d’une centaine de mètres de haut repéré depuis le bas, dont la descente semble possible à pieds par un système de vires. La grimpe s’y avère un poil plus difficile qu’escompté du bas, et les biceps finiront aussi chargés à la fin des 2 longueurs que les estomacs le matin même.
 
 
 
 

Une fois revenus sur le plancher des moutons les tentes nous tendent leurs arceaux et nous voilà bientôt attablés à la japonaise devant notre ordinaire de pâtes aux fourmis et de semoule aux moucherons, bien loin du festin offert le matin même par nos amis Kurdes…

 

1er août

 

Aujourd’hui nous ne pouvons prétexter aucune blessure ou fête Kurde pour paresser dans le duvet en attendant que le soleil ne transforme la tente en fournaise, et il faut donc partir aux premières lueurs du jour en direction de l’Elsan dont la première tentative a été vite avortée l’avant-veille… L’accès désormais bien connu ne nous pose aucune difficulté, mis à part pour Alexandre et Thomas qui avec un manque évident de sensibilité éternuent et expectorent dans les champs de fleurs sauvages.

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Arrivés au pied de l’arête sud-ouest la nature délitée du terrain saute aux chaussons, et c’est sur des rochers aussi solides qu’un budget Grec que nous grimpons en direction du sommet de l’Elsan.  

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Après la contemplation du panorama couvrant l’ensemble du massif du Cilo puis une sieste sommitale un plus longue que ne le voudrait l’éthique du montagnard.
 
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pano Elsan 2 (Large)
 
 
Dans ce terrain de piles d’assiettes en pleines scènes de ménage, la descente se fait en désescalade précautionneuse.
 
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Après quelques longueurs délicates sur la partie haute de l’arête sud-ouest, nous pouvons remiser les baudriers au fond du sac et descendre les rochers brisés de la partie basse de l’arête. Les descentes de névés en ramasse qui lui font suite, d’abord sur les pieds… puis parfois sur les fesses, soulagent bien les genoux et nous amènent rapidement au lac glaciaire du Duvar Tepe.
 
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Voilà notre premier vrai sommet du massif du Cilo gravi… et redescendu, certes pas le plus alpin mais en tout cas un belvédère unique sur tout le massif de par sa position reculée en deçà de la crête principale. Nous n’avons pas fait des étincelles en alpinisme, mais en tout cas les appareils photo ont bien crépité !

 

 

 

 

2 août

Aujourd’hui l’objectif est de grimper moins haut mais plus dur, et c’est donc tout naturellement que nous retournons à nos premières amours vers les belles parois rocheuses de la rive droite du torrent du Mia Hvara, juste en face de nos tentes. Nos velléités de trouver un itinéraire pas trop difficile dans toute la face, débouchant sur la crête 800 m plus haut, se retrouvent face à un mur compact de calcaire sans ligne de faiblesse évidente. Nous avons beau longer le bas de la paroi, varier les points de vue et scruter la falaise avec un zoom d’appareil photo en guise de jumelles ; nous ne trouvons pas la voie royale qui nous amènerait au sommet en évitant bouclier de dalles, toits et autres instruments de torture du grimpeur de 6- en terrain d’aventure…

Nous finissons par repérer un éperon ne paraissant pas trop difficile et débouchant sur un col rocheux situé sous un surplomb plus que rébarbatif, même vu depuis le bas de la voie. Nous commençons donc l’ascension sans grand espoir de passer ce col. L’escalade devient vite plaisante sur un rocher qui colle aux chaussons, de plus en plus soutenue jusqu’à une très belle quatrième longueur en 6a.
 
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pano Ava (Large)

 

Alex en tête hésite sur le meilleur itinéraire, pitonne, dépitonne, monte, descend, part à droite, à gauche, pour finalement trouver sa voie et relayer sous le col après un joli petit pas de surplomb sur bacs. De ce relais le col n’est plus qu’à un jet de corde, et nous y parvenons tout émoustillés à l’idée d’admirer les contours de notre surplomb sous un nouvel angle. Las, ce surplomb ne semble pas plus facile que vu du bas, et il nous faut donc envisager une retraite sans conquérir l’impossible. Nous prenons une vire descendante prometteuse, et effectivement cette vire qui vire souvent à la terrasse nous amène facilement sur un impressionnant couloir de pierrailles qui fend le rideau de parois rive droite du torrent du Mia Hvara. Ce couloir très encaissé sous des parois de 500 m de haut à l’ambiance presque spéléologique conduit facilement sur ses éboulis roulements à billes au pied de la paroi et à la prairie accueillante où paissent nos tentes.

Ce retour précoce permettra un coucher avec les poules… euh les moutons le soir, en préparation de la très grande journée d’alpinisme prévue le lendemain.

 

 

 

3 août

 

Le départ se fait aux premières lueurs en ce 3 août conçu comme le point d’orgue de notre camp d’alpinisme au Cilo, un sommet alpin, l’aiguille de Mir Hamza, ayant été repérée sous différents angles lors de la traversée glaciaire du 28 juillet et de l’ascension de l’Elsan l’avant-veille. Une aiguille calcaire bien individualisée, de profil triangulaire, dominant la langue terminale du glacier du Suppa Durek, dont la face est semble offrir des éperons à l’escalade accessible à nos modestes moyens de grimpeurs. Décision a donc été prise de lancer une tentative sur ce sommet.

L’approche consiste à passer progressivement des douces prairies du camp au plateau glaciaire du Suppa Durek, à travers éboulis, pentes de neige raides puis langue en glace vive du glacier du Suppa Durek. A mesure que les couleurs tournent du vert brillant des pelouses au gris blanc de la glace, les soupirs des thermiques et le ronronnement des bédières remplacent les bêlements des chèvres, et les halètements de l’alpiniste ployé sous sa charge de cordes et de pitons les éternuements de l’allergique immergé dans un nuage de pollens…

La paroi est de l’aiguille de Mir Hamza se rapproche, et aucune rimaye ne vient gêner le passage de la glace vive de la langue terminale du glacier aux rochers instables laissés là par le recul glaciaire très rapide, encore plus évident ici que nulle part ailleurs.

De fait l'expédition n'a pas eu seulement un intérêt alpinistique et "ethnologique",  à la découverte des parois calcaires et des bergers Kurdes, mais aussi botanique, avec de splendides prairies fleuries vers 2800-3000 m et glaciologique, avec encore des glaciers importants quoique en retrait accéléré. Ces montagnes calcaires du Cilo, culminant à seulement 4150 m, comportent en effet de beaux glaciers malgré les températures estivales caniculaires et la sécheresse absolue que nous avons constatées. Qu'on en juge : près de 38°C l'après-midi dans la ville de Hakkari pourtant perchée à 1800 m d'altitude dans les contreforts du massif, un isotherme 0°C à plus de 5000 m durant plusieurs mois et aucun regel nocturne à 3500 m l'été (même si la neige reste dure en permanence, étant recouverte de poussière, sans doute en provenance du désert irakien à seulement quelques centaines de kilomètres au sud). Pourtant le massif est encore doté de beaux appareils glaciaires blottis sur ses versants nord, avec une ligne d'équilibre actuellement localisée sans doute aux environs de 3600 m, restant malgré tout très basse pour la région. Les hivers doivent donc être très enneigés dans le Kurdistan pour compenser une telle ablation estivale ! Le glacier le plus important reste celui du Suppa Durek, dont le front s'arrête actuellement aux alentours de 3000 m alors que des photos plus anciennes (1900) tendraient à prouver une altitude minimale de 2500 m il y a quelques décennies. Les rochers polis et lacs de moraine troubles témoignent d'un recul rapide et important. Début août 2011 les deux tiers de la surface du glacier étaient déjà complètement à vif, parcourus de dizaines de bédières à gros débit mettant en évidence un bilan de masse déjà très négatif plusieurs semaines avant la fin de la saison d'ablation. De quoi être pessimiste sur l'avenir à court terme de ces glaciers qui constituent actuellement via leurs torrents de fonte l’une des seules sources d’eau de la région en été.

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Trêve de considérations glaciologiques, ce n’est pas à la glace que nous pensons mais au rocher lorsque nous enlevons nos chaussures et nos crampons. L’observation du beau rocher calcaire compact nous met des fourmis dans les chaussons, et c’est la fleur au descendeur que nous commençons par grimper corde tendue puis tirons notre première longueur dans un beau dièdre.

 

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Dans ce terrain d’aventures intégral, jamais topographié, parcouru ou purgé, il importe de tester chaque prise et de trouver le bon itinéraire, même si le rocher offre pléthore de becquets à sangles et de fissures et friends, permettant de garder le stock de pitons intact. Dans ces conditions les longueurs se succèdent relativement vite, et même si le sommet paraît toujours aussi lointain les bédières du glacier en contrebas s’éloignent puis se taisent, nous laissant accrochés à un bout d’éperon comme suspendus entre ciel et glace.

 

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Malgré tout les ombres commencent à s’allonger, la chaleur à se faire moins pesante et l’air à se purifier en se débarrassant des vibrations de chaleur du zénith. Même si le temps nous paraissait suspendu dans ce silence immuable, sur cette paroi où nous progressons sans que la cîme semble se rapprocher, la montre nous indique une heure déjà bien avancée, ne nous laissant que 2 heures avant le crépuscule.

 

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Il est encore temps de nous décider, sachant donc que 2 options peuvent être choisies : poursuivre l’ascension et donc très probablement bivouaquer en paroi sans aucun matériel (même si les nuits sont douces dans le Cilo, même à haute altitude), en attendant patiemment sur une vire inconfortable vachés sur un bout de métal que l’horizon s’éclaire à l’est, ou entamer de suite les rappels de descente, ce qui devrait nous amener au pied de la paroi avant la nuit. L’ambition montagnarde le dispute à la préférence donnée à la tente sur le bivouac improvisée, et c’est finalement après le premier tour d’un vote à la majorité absolue que nous décidons de redescendre…

Il s’agit donc maintenant d’enchaîner les rappels jusqu’au glacier, et donc de construire des relais fiables sans laisser trop de matériels. L’absence de becquets nous contraint à pitonner, si bien que les cinq rappels de descente réduiront bien notre stock de pitons. Nous parvenons au pied de la paroi soulagés de ne pas avoir coincé la corde ou descellé de rocher, et il nous reste encore un peu de jour pour mettre les crampons sans la frontale. 

 

commentaires

B
<br /> Bravo pour votre descriptif d'expé au Cilo Dagi et pour les photos qui m'ont rappelé de si bons souvenirs. J'étais en effet de l'expé Bernard Amy 1969. J'ai eu à cette occasion le plaisir d'y<br /> faire (en solo) la traversée W -> E de l'Elsan, puis de gravir la face W du Resko et l'arête E du Suppa Durek.<br /> <br /> <br /> A l'époque, les glaciers étaient beaucoup plus garnis que ce qu'on peut voir sur vos photos, et les bergers kurdes tout aussi accueillants...<br /> <br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> <br /> Claude Blondot<br /> <br /> <br />  <br />

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