Ci-dessous l’article presqu’intégral (sans les topos) quant à la session de ski de randonnée en Grèce centrale et Péloponnèse de l’hiver 2022, paru dans le numéro 51 de Ski Rando Magazine.
« Comment ça, tu vas skier en Grèce ? » Si vous ne déclenchez pas l’incrédulité chez vos ami(e)s, c’est que des railleries dans la veine : « mais pourquoi pas de la plongée sous-marine au Tibet ou de la cascade de glace en Egypte ? » - vont bientôt crépiter !
« Mais oui en Grèce, juste au-dessus de la Mer Egée ! » Là on pourrait vous accuser d’abuser de vos réserves de génépi… et pourtant nul besoin d’aide psychiatrique et de camisole de force malgré vos annonces fracassantes et ce coup de grâce : les montagnes grecques réservent du ski à l’ambiance maritime.
L’hiver grec n’est pas ce qu’on imagine, et si vous pensiez siroter un ouzo sous un olivier les doigts de pied en éventail, vous vous fourrez le bâton dans l’œil jusqu’à l’ARVA. La Russie n’est pas loin au nord-est de la Grèce, le froid sibérien non plus, à peine mis à distance par les Mers Noire et Egée, assez grandes pour protéger la péninsule hellénique des chars de Poutine, mais pas pour la couper des flux de nord-est synonymes ici de froid et de neige, parfois jusqu’à… l’Acropole au cœur d’Athènes !
Le mont Dirfi du haut de ses petits 1700 m peut en témoigner : moins élevé qu’un Môle pour les habitants de la vallée de l’Arve, qu’un Pravouta pour un Grenoblois, ce sommet situé à la latitude de la Sicile a vu ses derniers névés fondre au début des mois de … juillet 2017, 2019 et 2020, pour ne citer que les cinq dernières années. La résistance étonnante de la neige grecque aussi tard en été prouve une fois de plus que l’enneigement n’est pas exclusivement dicté par la latitude, ce que l’exemple japonais vient abonder : les Alpes locales, encore plus méridionales que les montagnes grecques, se voient recouvrir chaque hiver de plusieurs mètres de neige dès quelques centaines de mètres d’altitude…
Plus au sud, au cœur de la Grèce centrale, les sommets du Parnasse, de Giona et de Vardousia titillent les 2500 mètres et offrent des itinéraires de plus grande ampleur, qui plus est au bout d’approches souvent longues. Les conditions nivo-météorologiques rencontrées lors de ce voyage n’auront pas permis d’explorer ces montagnes comme elles le mériteraient, mais l’aperçu glané lors de nos sorties nous incitera à y retourner sous le soleil et… sans le vent.
Encore plus au sud, de l’autre côté du Golfe de Corinthe, les sommets de la péninsule du Péloponnèse vous immergeront dans la mythologie Grecque, du Chelmos au Taygète, des sources du Styx aux amantes de Zeus. Libre à vous de caresser l’une des têtes de Cerbère ou le fils d’un Titan, mais vous profiterez dans tous les cas de panoramas divins sur le royaume de Poséidon que le soleil dore sous vos spatules !
Les Grecs nous ont donc laissé la démocratie, la moussaka, le style ionique ou corinthien… et le ski vue mer au-dessus des oliviers ; on peut même parler de vue « fjords » au-dessus des bras de mer presque fermés de l’Attique et du Péloponnèse. Vous rêvez de skier au-dessus d’un fjord ? Inutile de casser votre petit cochon et d’hypothéquer votre maison pour payer votre semaine de ski-voile en Norvège - finalement passée à manger de la pâte de poisson en tube en regardant la pluie tomber sur le ponton, allez plutôt sous le soleil Grec tracer des pentes vierges au-dessus de la Mer Egée, en dînant de moussaka pour le prix d’une bière en Scandinavie !
Vous rêvez de figurer parmi les « premiers de cordée » et pas parmi « ceux qui ne sont rien », sans « dépenser un pognon de dingue » ? Inutile de traverser la rue pour trouver un emploi plus lucratif, allez plutôt skier en Grèce pour une promotion en « happiness chief offiskieur» dans la « climb up (et down) nation » ! (toute ressemblance avec des éléments de langage d’un dirigeant politique est purement fortuite).
Le 5 février 2022
Après une longue route depuis Athènes marquée par un arrêt au stand pour… changement de chaînes, nous voilà à pied d’œuvre au cœur de l’île d’Eubée, qui a le bon goût d’être reliée au continent par un pont routier.
De notre hébergement dans le village de Stropones, accroché sur le versant nord du Dirfi quelques kilomètres au-dessus de la mer Egée, et jusqu’au col situé à l'ouest du Dirfi, la route est autant un parcours panoramique qu'une simple approche : on suit une corniche sinueuse qui mène de village en oliveraie, de forêts en restanques, avec des points de vue sur la Mer Egée qu'un agent immobilier qualifierait de féériques. Mais, une fois parvenus au col, il faut se résoudre à s'extraire du belvédère roulant pour chausser son propre véhicule à traction non thermique. Parvenus sur l'épaule ouest du Dirfi, la vue mer dépasse les superlatifs les plus vendeurs, mais ne se savoure qu’à dose homéopathique vu le vent glacial qui nous saisit. La dernière montée se fraie d'ailleurs une route délicate sur une neige glacée entre de gros blocs givrés sur une cinquantaine de centimètres d'épaisseur, une ambiance patagonienne qui ne se dément pas au sommet du Cerro Dirfi plâtré par la récente tempête. De là, la Mer Egée et l’archipel des Sporades vers lesquel.le.s sont tournées les combes nord jouent les sirènes, et on plongera donc vers elles sur un beau tapis blanc – sans le moindre requin dans le blanc. La descente s’arrêtera tout de même… à 850 mètres, soit à altitude beaucoup plus basse que ce qu’on aurait pu espérer dans les Alpes françaises à la même période, à distance encore suffisante du Grand Bleu pour nous prémunir des sortilèges mortels des créatures marines mi-femmes mi-poissons.
Un beau sommet à l'ambiance maritime exceptionnelle, du bon ski au-dessus de la Grande Bleue, on comprend que Zeus ait élu domicile sur un autre sommet côtier, le Mont Olympe, mais il doit sûrement se fendre de quelques virées extra-conjugales avec ses nombreuses amantes sur ce Dirfi voisin, à l'abri des regards jaloux d'’Héra !
Le 6 février 2022
Les contraintes logistiques du jour nous orientent naturellement vers le Xerobouni, choisi... non pas pour son toponyme à consonance grecque, mais pour son dénivelée modeste et son approche rapide. Ce sera bien plus qu'un plan de repli, une course atypique sur un sommet qui dépasse de peu 1400 m mais a tout des plus grands avec son impressionnante barre de falaises ouest et ses curieuses dolines sommitales, des dépressions karstiques qui donnent au plateau des allures de Verdun... ou Marioupol Grec, l'érosion pluviale ayant ici remplacé les obus. C'est donc du ski « à lecture » comme le dirait un grimpeur, où il s'agit d'imaginer un itinéraire optimisant les remontées au travers de ce labyrinthe de dépressions, avant qu'on ne renoue plus bas avec du ski ludique et facile sur la moquette que le soleil grec a fait pousser entre genévriers et pins épars.
Les yeux et les spatules rassasié.e.s d’Eubée, on peut retourner mission accomplie sur le continent, vers les montagnes du Giona et du Parnasse une centaine de kilomètres à l’ouest.
Le 7 février 2022
L’objectif du jour est le Mont Giona, le plus haut sommet Grec au sud du Mont Olympe, entouré de longues vallées et d’une couronne de sommets secondaires, et qui se conquiert donc au prix d’une longue approche. Le départ près du village de Kaloskopi se fait sous les nuages et dans le vent, et ces derniers ne feront que se renforcer au cours de la longue remontée de la route forestière. Parvenus sous le sommet du Platouvina, la météo se dégrade encore, avec un ciel aussi sombre qu’une soutane et vent à déchapeauter un pope ! Atteindre le sommet du Giona ou même poursuivre la montée ne fait pas sens, et la simple évocation des sources chaudes entraperçues la veille sonnera le glas de nos velléités d’ascension du jour.
Après une descente guère plus rapide que la montée sur l’interminable faux-plat de la route forestière, on ira donc se réchauffer dans les sources chaudes de Thermopyles avec leurs vasques d’eau sulfurée à 37°C, bien loin des windchill factors à -10°C du matin !
Dur de résister au jacuzzi naturel en libre accès, et la semaine de ski se transformera encore le lendemain en journée de thermalisme en plein air… près d’un camp de réfugiés à l’environnement plus sympathique que la « jungle » de Calais.
Le 9 février 2022
Un premier coup d’œil au saut du lit vers les montagnes environnantes suffira à donner la ou les couleur.s de la journée : bleu dans le ciel avec une perturbation désormais évacuée vers l’est, et blanc près des crêtes fouettées par un fort vent de nord qui balaie la poudreuse déposée la veille.
Au départ de Phtérólakka, l’un des stations de ski du Mont Parnasse, nous entamons donc un long combat frontal contre le vent de nord, en formation en colonne de marche. Rapidement l’ordre serré de l’infanterie se disperse, mais, une fois arrivés au col, Eole a levé une armée de flèches d’air qui transpercent nos vestes, nous imposant un repli tactique non coordonnée dans les tranchées entre les rochers. L’ennemi a même miné les pentes raides sous le vent (au sud) de plaques anti-personnel, si bien qu’on effectuera une diversion stratégique coordonnée vers les pentes au vent et non pas sous le vent. Ce sera finalement du bon ski sur des neiges évidemment parfois soufflées, dans un magnifique cadre géologique vers la double arche sommitale de l’antécime nord du Liakoura, avec vue sur le Golfe Maliaque vers le nord au travers de la fenêtre naturelle plâtrée de fraîche.
Encore une belle journée de ski, où l’on en aura pris plein les yeux… et la face avec ce vent de nord qui n’offrait aucune trêve.
Le 10 février 2022
Après une route de liaison aussi longue que panoramique, le long du golfe de Corinthe puis à travers des gorges de conglomérat, on atteint la station de ski de Kalavrita située sur le versant nord du Chelmos, la troisième plus haute montagne du Péloponnèse. Si la mythologie grecque situe les sources du Styx dans ce massif, le vent infernal des journées précédentes s’est pourtant bien calmé. On en profitera pour skier à peu près toutes les orientations sur les combes sommitales de l’Aroania – l’autre nom du Chelmos, alternant la neige poudreuse plus ou moins soufflée versant nord et celle en cours de transformation versants sud-est à sud-ouest, globalement du bon ski durant ce tour de la boussole. C’est la combe nord-est plongeant vers la vallée, dominée à l’ouest par les imposantes falaises de la cascade du Styx, qui marquera les mémoires, bonne neige et superbe ambiance sur ce thalweg encaissé entre barres rocheuses et cascades de glace. Mais la dernière remontée sur les pentes sud-ouest, devant les lignes de crêtes sur fond de Mer Ionienne qui commence à briller au soleil déclinant, vaudra également son pesant de feta.
Direction Sparte pour la dernière journée de ce voyage en Grèce, qui se fera d’ailleurs juste au-dessus de la Mer Ionienne, au bout du Péloponnèse, là où seules les montagnes crétoises émergent du bleu vers le sud !
Le 11 février 2022
Le Taygetos, sommet du Péloponnèse à plus de 2400 mètres, aimante les regards dès que l’horizon s’ouvre, à la sortie de la ville de Sparte qu’il domine au sud-ouest. La piste du refuge du Taygetos, carrossable en véhicule de tourisme mais encore glacée à l’ombre, permettra de raccourcir l’approche, même si la montée pédestre directe au fond du vallon sis sous le refuge se révèlera un peu trop « sanglier », surtout avec des skis accrochés sur les sacs à dos. Dès la sortie de la pinède et le chaussage des skis à 1400 m, le panorama s’ouvre, notamment vers le sud, la mer qui brille et les montagnes blanches de Crête qui portent bien leur nom ce jour. C’est superbe, derrière les formes biscornues des pins noirs et sapins de Céphalonie, et encore plus sur l’arête nord du Profitis Ilias. On y progresse sur un fil de neige, la mer de chaque côté au-delà des lignes de crêtes noyées dans la brume, jusqu’au replat sommital qui abrite la chapelle orthodoxe.
Les descentes, versant ouest face à la Mer Ionienne, versant est face à la Mer Egée, avec la Crête de profil derrière le Cap Ténare, concluent en beauté cette semaine de ski Grecque, à l’ambiance toute Cycladienne avec du blanc au-dessus du bleu, la neige remplaçant ici la peinture à la chaux des cubes des maisons blanches.
EN PRATIQUE
Période
La meilleure période s’étend généralement de janvier à fin mars, pas plus tard que la fin de l’hiver pour garantir un enneigement suffisant sur ces montagnes d’altitude moyenne (pas plus de 2400 mètres) et déjà bien méridionales.
Sites de prévisions nivo-météorologiques
Comme expliqué en introduction, l’enneigement de cette région est beaucoup plus copieux que la latitude le laisserait penser, grâce à un climat hivernal humide et rafraîchi par la proximité du bloc froid russe. Pour autant, même si l’enneigement s’avère souvent généreux, il présente une grande variabilité temporelle et spatiale. Il importe donc de vérifier avant le départ si la neige est assez présente pour justifier un voyage de plusieurs milliers de kilomètres : on peut s’assurer de l’enneigement des stations de ski voisines sur www.snow-forecast.com, suivre les prévisions de chutes de neige locales sur www.meteoblue.com ou, encore mieux, baser son analyse sur des vues satellite récentes. Le site https://apps.sentinel-hub.com/sentinel-playground permet justement d’estimer la limite d’enneigement grâce aux vues satellites prises périodiquement (généralement tous les 2 ou 3 jours) de l’ensemble de la surface terrestre, en comparant une vue satellite récente (par ciel dégagé) de la montagne visée avec les courbes de niveau d’une carte. Un moyen universel (affranchi de l’existence de stations de ski et/ou bulletins nivologiques) et permanent pour déterminer en temps réel ou presque la présence de neige ou non sur toutes les montagnes du globe !
A ma connaissance, les seuls bulletins d’estimation du risque d’avalanches sont ceux publiés par certaines stations de ski, comme celle de Kalavrita au nord du Péloponnèse : https://www.kalavrita-ski.gr/local-avalanche-forecast/ (en langue grecque uniquement…) ; ils couvrent donc une zone limitée mais fournissent tout de même une évaluation utile aux skieurs de randonnée qui arpentent les montagnes voisines.
Concernant les prévisions météorologiques, on peut comme partout surfer sur www.meteoblue.com, qui compare les sorties de nombreux modèles différents et permet d’évaluer la fiabilité des prévisions au travers de leur dispersion.
Formalités administratives
Une carte d’identité suffit pour rentrer sur le territoire Grec. Il est malgré tout recommandé de vérifier les conditions de voyage sur le site « conseils aux voyageurs » https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays-destination/grece/, qui vous informera entre autres d’éventuelles restrictions sanitaires encore/à nouveau en vigueur.
Comment y aller
La capitale grecque, en position centrale par rapport aux itinéraires présentés dans cet article, constitue l’aéroport le plus commode, qui plus est bien desservi par de nombreuses compagnies et vols au départ des grandes villes d’Europe de l’Ouest. A noter que chez Lufthansa le transport du matériel de ski (planches + chaussures) est… totalement gratuit !
Se déplacer
Il semble difficile de se passer de location de voiture, les points de départ des randonnées présentées dans cet article n’étant en général pas desservis par des transports en commun.
Budget/hébergement
La Grèce est un pays plutôt bon marché, en tout cas durant la basse saison hivernale et dans ces destinations à l’écart des circuits touristiques classiques.
On peut y trouver des chambres d’hôtel ou des locations type airbnb de standing correct à bon pour 30 à 50 euros par nuit ; pour les restaurants compter environ 15 à 25 euros pour un repas copieux… et arrosé.
En dehors du ski
Entre toutes ces montagnes se trouvent de nombreux sites archéologiques qu’il serait impossible de tous mentionner dans cet article. Leur visite permettra de compléter votre voyage sportif par un petit vernis culturel et historique, et de remplir agréablement une journée de repos dictée ou non par les paramètres nivo-météorologiques.
Pour celles et ceux qui restent imperméables aux charmes de la Grèce antique il est également possible de vous baigner dans les belles sources chaudes (en accès libre) de Thermopyles, placées par la grâce de Zeus sur la route entre… Eubée et le Parnasse, où se trouvent trois des cinq courses présentées dans cet article !